Sortie d’ouvrage : Musiques et musiciens des fêtes urbaines et villageoises en France (XIVe-XVIIIe)

En juin 2024 est paru “Musiques et musiciens des fêtes urbaines et villageoises en France (XIVe-XVIIIe)”, ouvrage de Luc Charles-Dominique dédié à l’histoire des ménétriers et de leurs musiques dans la France du bas Moyen-Âge et de l’Ancien Régime.

Le terme « ménétrier » désigne généralement un « musicien populaire qui faisait danser les villageois, le plus souvent au son du violon, en particulier à l’occasion des noces »[1]

Il est dérivé de « ménestrel » (du bas latin ministerialis, signifiant « chargé de service ») : « musicien ambulant ou engagé par un seigneur, qui, au Moyen Âge, accompagnait un chanteur ou qui récitait et chantait des pièces de vers, le plus souvent de sa composition, en s’accompagnant d’un instrument »[2].

Plus largement, le « ménétrier » est un musicien, ou plutôt « joueur d’instruments »[3], dont l’activité relève essentiellement de la prestation, d’autant plus à partir du XIVe siècle, où elle se constitue en métier au sens historique du terme, c’est-à-dire celui d’un savoir-faire réglementé et hiérarchisé.

 

Mais la figure du ménétrier est plurielle et complexe, et cristallise des réalités et enjeux d’ordre sociaux, historiques, culturels, et politiques denses, que Luc Charles-Dominique se propose d’explorer et de décortiquer dans son nouvel ouvrage Musiques et musiciens des fêtes urbaines et villageoises en France (XIVe-XVIIIe), paru aux Editions Brepols en 2024.

Présentation de l’ouvrage

Luc Charles-Dominique est professeur émérite d’ethnomusicologie à l’Université Côte d’Azur, et membre honoraire de l’Institut Universitaire de France. Il est l’auteur de nombreuses études (articles et ouvrages) relevant de l’anthropologie musicale historique, de l’ethnomusicologie de la France et de l’anthropologie des formes modernes de la patrimonialisation musicale.

L’ouvrage dont il est question ici fait suite à une de ses précédentes publications : Ménétriers français sous l’Ancien Régime (Paris, Klincksieck, 1994). Avec la collaboration étroite de chercheurs et chercheuses en région, et agrémentée de cartes et d’illustrations, cette étude se voit désormais complétée et réactualisée par la découverte de nouvelles sources couplée à une nouvelle approche, permettant notamment :

– d’approfondir et d’élargir les territoires étudiés

– de mieux comprendre l’organisation (ou la non-organisation) collective chez les ménétriers (corporations, confréries, associations temporaires, communautés informelles)

– de se pencher sur les rapports des ménétriers à leur territoire de pratique, citadin comme rural, français comme européen, et d’esquisser une géographie ménétrière en France

– d’étudier les diverses formes de mobilité des ménétriers (avec un focus particulier sur la figure de l’aveugle musicien)

– de brosser des portraits de ménétriers, leurs différents profils sociaux, leur volonté de reconnaissance et d’appartenance, en abordant également une approche genrée de la pratique

– d’étudier, en détail, les instruments ménétriers

– de questionner l’inscription de la musique ménétrière dans la vie sociale et politique

Le tout selon une approche prosopographique et micro-historique, mettant en lumière les parcours individuels, leurs singularités, tout autant que les porosités sociales et culturelles qu’ils révèlent.

Une musique de transmission orale ?

Parmi tous les sujets abordés au sein des 7 parties qui constituent cet ouvrage, Luc Charles-Dominique s’attache notamment à remettre en question la pseudo-binarité « oral/écrit, populaire/savant ».

Il y est en effet question de la Ménestrandise : la corporation des ménétriers fondée à Paris en 1321. Objet de multiples conflits avec les académies royales de musique et de danse, en franche opposition avec les pratiques et savoir-faire de tradition orale attribués aux ménétriers, la corporation est finalement abolie en 1776. Parmi ces institutions royales, figurait notamment les Vingt-quatre violons du Roi, formation musicale très prestigieuse ayant existé de 1577 à 1761, destinée aux divertissements et cérémonies officielles de la Cour de France, et constituée à l’origine d’anciens ménétriers de cour.

Cet enregistrement est issu de la collection discographique de l’Anthologie sonore, qui entreprend dès 1933 l’enregistrement de musiques anciennes, dont certaines sont d’ailleurs des répertoires historiques de ménétriers. En 1954, sous la direction du musicologue et chef d’orchestre Felix Raugel, un microsillon est ainsi publié, intitulé les Vingt-quatre violons du Roy, constitué de 15 suites de danses instrumentales pour bandes de violons[4].

De même, le caractère exclusivement oral des pratiques ménétrières ne va de pas soi, tel qu’en témoigne l’exemple de Joseph Roméo, ménétrier enregistré par Luc Charles-Dominique lui-même, à Auterive (Haute-Garonne).

Issu d’une famille d’immigrés espagnols, Joseph Roméo (1903-1989), était un ménétrier « violoneux » ayant appris la musique selon une pratique de routine[5]. Il passa sa jeunesse en Gascogne agenaise, où il joua de 1920 à 1932. Après avoir appris à lire et à écrire, il consigna toute son activité de musicien à danser, écrivit des poèmes et se lança même dans la traduction du catalan et du castillan au français. Il apprit également à lire et à écrire la musique, et joua au sein de petits ensembles en constituant lui-même les orchestrations.

Tout en donnant un portrait particulier de musicien ménétrier, routinier, l’exemple de Joseph Roméo démontre par ailleurs que les musiciens dits « savants » n’étaient pas les seuls à savoir lire et écrire la musique, et que l’oralité n’était pas l’unique caractéristique de leur pratique[6].


Par un travail de recherche minutieux mêlant anthropologie musicale historique et approche territoriale, Musiques et musiciens des fêtes urbaines et villageoises en France (XIVe-XVIIIe) contribue donc à améliorer l’appréhension de la réalité locale et régionale des musiques ménétrières, du fonctionnement social de ces époques anciennes et de la place qu’y tenaient ces figures et pratiques musicales, encore assez largement méconnues malgré leur centralité sociale et sociétale, et leur résonance dans les collectes et répertoires de musiques traditionnelles qui nous sont parvenus.

Remerciements à Luc Charles-Dominique pour son aide dans la rédaction de ce billet.

Pour aller plus loin

Pour aller plus loin :

– Pour acheter l’ouvrage : https://www.brepols.net/products/IS-9782503611891-1

– Deux articles dédiés à des figures de musiciens routiniers célèbres: Emile Escalle et les Frères Lambert

– Articles Wikipédia relatifs aux ménétriers et à la Ménestrandise


[1] D’après le CNRTL https://www.cnrtl.fr/definition/m%C3%A9n%C3%A9trier

[2] D’après le CNRTL https://www.cnrtl.fr/definition/m%C3%A9nestrel

[3] Formule qui s’impose au XVIe siècle.

[4] CHARLES-DOMINIQUE Luc, Musiques et musiciens des fêtes urbaines et villageoises en France (XIVe-XVIIIe), Turnhout : Brepols, 2024, p12-13.


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
cmtra (16 décembre 2024). Sortie d’ouvrage : Musiques et musiciens des fêtes urbaines et villageoises en France (XIVe-XVIIIe). MUSIQUES, TERRITOIRES, INTERCULTURALITÉ. Consulté le 14 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12y9s


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